Une classe de CM1 et une classe de CM2 ont remporté cette année ex aequo le prix académique du concours « Les Petits artistes de la mémoire » organisé par l’ONACVG. Toutes les deux ont produit un travail remarquable d’investigation et de mise en récit. Découvrez leur œuvre ci-dessous, bravo aux élèves et à leurs enseignants.
Nous attendons maintenant les résultats du jury national !
En savoir plus sur le concours « les Petits artistes de la mémoire »
« Martial Lepeytre, destination inconnue », classe de CM1 A de l’école Léopold Sedar Senghor à Clamart, sous la direction de leur professeur M.Rosenberg
Le mot du maître
À l’école primaire, entrer dans le devoir de mémoire reste encore aujourd’hui un chemin flou entre la « sacralité » des lieux, des dates ; le traitement des témoignages et la lecture des archives officielles ; l’engouement de chacun, l’émotion ; mais surtout la compréhension de l’évènement. Participer aux célébrations du 11 novembre ou du 8 mai en étant porte-drapeau, porteur de gerbes, lecteur de lettres ; n’a de sens que si l’on se demande pourquoi nous rendons cet hommage ? Si c’est une simple figuration à l’initiative de l’enseignant ou du parent, c’est une mémoire obligée qui n’aura aucune pertinence dans la construction de l’élève. Il n’aura pas les références pour mesurer l’importance de l’événement, les pertes humaines, l’enchaînement macabre des batailles, la barbarie, le souvenir. Cet élève n’aura pas non plus la bonne lecture d’un monument aux morts, ce stigmate de la guerre au cœur de la ville. Pourquoi cette célébration de la victoire, de la mort, de la douleur sur ces œuvres ? Pourquoi ces noms gravés sur le monument communal ? Pourquoi un soldat sans nom sous l’Arc de Triomphe parisien ? Comprendre cet hommage c’est s’identifier à l’évènement, le sentir, le porter, entrer dans le symbolisme. Comme Marianne est le symbole de la France, la pleureuse ou le soldat mourant de Clamart sont les symboles de la première guerre mondiale dans notre ville. Mère, épouse, sœur, fille, fils, frère, époux, père, chacun peut s’identifier.
La lecture d’une œuvre artistique est un point de départ de ce devoir de mémoire. On entre alors dans le travail de mémoire. L’église Saint-Pierre Saint-Paul de Clamart renferme un vitrail riche en références historiques, une œuvre où se mêlent le narratif et le symbolique. Le Chemin des Dames y est présenté, la cathédrale de Laon, Saint Michel, le casque Adrian, les feuilles de chêne, les médailles, la légion d’honneur… Ce vitrail offert par la famille Gogue à l’église honore un fils, l’histoire d’un proche, une vérité historique, un témoignage direct, dont la seule inconnue est la dépouille du soldat : « son corps n’a pu être retrouvé dans l’horrible chaos ».
Le travail de mémoire s’engage dès lors que l’on cherche à comprendre les éléments d’un évènement, à les mettre en lumière, sans jugement de valeur, dans l’hommage et la mémoire d’évènements que nous n’avons pas connus. Le vitrail est un hommage familial, intime, dans un lieu de culte. Le travail de mémoire, lui, doit être collectif, national et universaliste. Il passe avant tout par la compréhension et la transmission.
Après l’architecte de l’école, le jeune soldat mort après trente jours, le prisonnier de guerre qui décédera en détention et celui qui reviendra de la guerre pour mourir un an plus tard ; nous revenons avec un nouveau projet et un nouveau soldat : Martial Lepeytre. En prenant le risque de faire un support numérique plutôt qu’un carnet, un film plutôt qu’un roman illustré. L’aventure fut compliquée, ambitieuse et difficile à mettre en œuvre, mais nous pouvons aujourd’hui présenter un travail au concours 2023 des Petits Artistes de la Mémoire.
Tous les mardis, jusqu’aux vacances de printemps, nous avons étudié le profil de Lepeytre au travers des archives du département des Hauts de Seine, le site Filae (sur lequel nous avons pris contact avec un descendant de Martial Lepeytre), les journaux officiels de marche des régiments fréquentés, les documents d’époque sur Clamart, la société française de 1914… Nous affichions nos trouvailles sur le tableau de liège au fond de la classe et dans le classeur de projets. Nos décors ont longtemps traîné sans vie dans la classe, comme les poupées qui s’accumulaient, en attente du tournage ou pour être « reprisées ». Puis le moment des photographies est arrivé, l’enregistrement des voix et des chants. Le chemin flou du travail de mémoire devenait palpable et réaliste, une histoire s’écrivait par petits morceaux. Romancée évidemment, les archives ne sont pas assez précises, les lettres sont absentes. Mais l’hommage était présent. Cette classe de CM1 n’est pas spécialiste de la Grande Guerre, mais peut raconter une vie de soldat, imaginer une expérience de guerre, sans pour autant faire un exposé. Les objectifs de la mémoire étaient respectés : « préserver et transmettre aux plus jeunes la mémoire et les valeurs républicaines des hommes et femmes qui ont défendu le territoire national et ses idéaux. […] Chaque citoyen doit connaître et sauvegarder l’héritage des anciens combattants ».
Notre participation au concours des Petits Artistes de la Mémoire est devenue une tradition à l’école Senghor. Comme leurs prédécesseurs, les élèves se sont appliqués à proposer une œuvre de qualité, recherchée, détaillée et soignée ; avec l’espoir de perpétuer une jolie tradition.
La réalisation de la classe
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« Tout nu dans les orties », classe de CM2 de l’école Albert Camus à Epinay-sur-Orge sous leur direction de leur professeure, Sarah Leleu Maati
Le mot de la maîtresse
Dans ma classe, depuis quatre ans, notre galerie des héros s'agrandit : quatre portraits s’alignent sur le mur : Jean Emile, Jean Adrien, Augustin, Louis. Une classe, un Poilu. Les enfants les connaissent bien. Chaque année, je leur présente les soldats exhumés par leurs prédécesseurs, petits artistes et petits historiens. Ils connaissent leur visage. Ils connaissent leur nom. Ils lisent l’histoire que les autres enfants ont écrite, pour que personne ne les oublie plus jamais. Le devoir de mémoire est souvent vertical: on imagine bien volontiers les grands pères qui racontent à leurs petits-enfants, les anciens combattants qui racontent aux petits élèves, ceux qui savent qui expliquent à ceux qui ne savent pas On pense sans doute que la transmission est l’affaire de ceux qui restent, ou de ceux qui peuvent encore témoigner, non plus dans le cas des Poilus, de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu, mais de ce qu’ils ont entendu, et qui sont dépositaires de précieux témoignages.
Et c’est vrai, indéniablement : le lien transgénérationnel est indispensable. Il est l’incarnation logique du temps qui passe, entre ceux qui vont disparaître et ceux qui grandissent. Mais depuis plusieurs années, c’est une transmission horizontale, presque fraternelle, qui s’est doucement instaurée dans ma classe : mes élèves se transmettent entre pairs la mémoire qu’ils construisent les uns avec les autres, les uns après les autres, les uns pour les autres. Des enfants écrivent l’Histoire pour leurs petits frères, leurs petites sœurs, leurs petits camarades. Ils gagnent des récompenses qu’ils s’offrent les uns aux autres comme le mérite partagé du devoir accompli. Cette année a été perturbée, comme les précédentes, par des incidents et des épisodes difficiles et douloureux : la vie d’une école, d’une classe, n’est jamais de tout repos, et celle d’une maîtresse non plus.
Mais si le temps a manqué, si l’énergie a été quelque peu difficile à trouver, je n’ai jamais abandonné ce projet, quand bien même c’est un travail de longue haleine, qui demande un investissement personnel considérable, un long travail de préparation. J’ai appris au fil des années à chercher, à éplucher les archives, j’ai lu beaucoup, j’ai transcrit des documents d’époque. J’ai pris dans mes bras chacun des Poilus que j’ai approchés, je l’ai imaginé très fort, je l’ai aimé. Je tiens à ce projet parce que l’Histoire ne s’écrit pas autrement ; elle n’est pas, elle ne doit pas être l’objet d’un roman national à la gloire de je ne sais quel idéal. Elle s’ancre dans la réalité, elle est la toile tissée par les histoires croisées des hommes et des femmes qui ont vécu avant nous. Des hommes et des femmes, comme nous. Il y a bien parmi eux quelques rois, des empereurs, des généraux dont on accroche le nom à des dates et le portrait à la frise chronologique… on visitera bien des musées, des châteaux, des monuments. Mais ce qui parle à chacun d’entre nous, adultes et enfants, ce ne sont pas les dorures de Versailles ni le lustre des médailles, c’est l’humanité qui traverse le temps à hauteur de quotidien, celle qui nous fait proches les uns des autres. Proches des hommes, des femmes, des enfants, qui plaquèrent les silhouettes de leurs mains sur les parois des grottes, au point qu’on pourrait y glisser nos propres mains. Comme si le temps n’était qu’un détail, comme si c’était hier.
Proches, il n’y a qu’à écouter réagir les enfants, du petit peuple qui, siècle après siècle, a vécu dans la misère, a subi l’injustice, s’est révolté parfois. Proches aussi de ces hommes, que l’on découvre ordinaires, jusqu’à l’effroi. L’instituteur, la paysan, le menuisier, des pères, des frères, des fiancés, tous, envoyés faire la guerre quand rien dans leur vie ne les y destinait. Les manuels ont déserté ma classe depuis longtemps : l’Histoire, c’est trop précieux pour qu’on laisse d’autres nous la raconter. Elle nous appartient. Nous sommes, chacun d’entre nous et chacun des enfants que porte l’école, le fruit, les dépositaires et les acteurs de cette Histoire.
La réalisation de la classe
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Mise à jour : octobre 2023